Apocalypses ou le 8 ème roi

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Le Carnet des Fous

vendredi 20 janvier 2023, par Zoltan Jordania

Le Carnet des Fous

Le trésor étant vide, le sultan Mahmoud réunit un Conseil pour parer à la situation.Tandis que les ministres exposaient à leur tour de rôle les projets d’impôts les plus extravagants, un voyageur, se donnant comme un savant alchimiste, demanda à parler au souverain.

Comme il se déclarait capable de fabriquer de l’Or, il fut aussitôt introduit. Mais le sultan, craignant avoir affaire à un charlatan, lui fit savoir qu’en cas d’échec il aurait la tête tranchée.

Sans se laisser impressionner notre homme réclama, pour faire son opération, quatre onces de canelle, cinq de girofle, dix de muscade et cinquante de djalèbouti. Les serviteurs rapportèrent de suite cannelle, girofle et muscade.

Quand au djalèbouti, personne n’ayant entendu parler de ce produit, il restait introuvable." Par Allah ! " s’écria le savant ". Est-ce si difficile à trouver !

Le djalèbouti est une poudre dorée qui se vend au Indes deux piastres l’ocque. Avez-vous bien cherché ? Allez donc au bazar des épices, dans l’échoppe de la troisième ruelle, à gauche, il doit y en avoir. Mais n’ouvrez pas le paquet en route : la substance perdrait de sa force ".

Une heure plus tard, le serviteur apporta la quantité fixée de djalèbouti. L’alchimiste fit alors bouillir ensemble les autres produits et soudain de son creuset, sortit un magnifique lingot d’Or.

Enthousiasmé, le sultan lui demanda de fabriquer de suite le précieux métal
en très grandes quantités.

Mais le savant fit remarquer que le djalèbouti étant assez rare à Constantinople, il convenait d’abord d’aller en chercher aux Indes une grosse cargaison. Ayant reconnu la justesse de cet avis, le monarque fit affréter un bateau spécial et remit une forte somme à l’alchimiste pour l’achat de la fameuse poudre.

Cependant, plusieurs mois après cet événement, le padischah se promenait à la pointe du Sérail, lorsqu’il aperçut un derviche qui, à l’ombre d’un arbre prenait des notes sur un carnet. S’approchant, il lui dit :

" Que fais-tu là ? ".

" Tu vois, je tiens le carnet des fous ".

S’étant penché, le Sultan vit que le premier nom inscrit était celui de Mahmoud.

" Quel est ce Mahmoud ? ", interrogea-t-il.

" Mahmoud !! mais, parbleu, le sultan ", riposta le derviche.

"Ah vraiment !!! Et pourquoi le nom du monarque se trouve-t-il sur ce carnet ?"

" Il est même en tête de liste. Car on ne peut être plus fou que de confier une somme considérable à un alchimiste inconnu, pour l’envoyer quérir aux Antipodes une drogue imaginaire..."

" Et cependant, plaida le sultan, " si l’alchimiste rapporte la drogue ".

" Je n’y verrai aucune différence ", répondit le derviche.

" Car dans ce cas, j’effacerai simplement le nom du sultan
et le remplacerai par celui de l’alchimiste".

Gentizon , L’Esprit d’Orient , édition G. Crès et Cie, Paris 1936